Le regard du collectionneur / Olivier Ponsoye

Publié le 26 juin 2017

Texte de Olivier Ponsoye, collectionneur d’art, publié dans mon livre In Situ – Dans les coulisses de l’Opéra de Paris.

Lorsque le photographe Pierre-Elie de Pibrac m’a demandé
d’écrire quelques lignes, en tant que collectionneur, sur son
travail avec le Ballet de l’Opéra de Paris, je me suis interrogé
sur la démarche qui consiste à parler d’un artiste qui immortalise
d’autres artistes dans d’autres disciplines. Exercice
périlleux et intime, car en réalité il ramène d’abord à la question
de savoir quel collectionneur est-on et quel lien a-t-on
avec l’artiste et sa création.
L’on dit souvent d’une collection que c’est une autobiographie
vivante guidée par un principe, une idée, que parfois
seul le collectionneur connaît mais qui l’obsède. Pour ma
part, je suis depuis toujours attiré par l’esthétisme, le goût
du beau, le portrait, les coloristes, la valeur symbolique et
humaniste, l’intelligence enfin. Intelligence de l’esprit et de
l’oeuvre. Je ne suis pas un collectionneur de la rupture mais
un amateur de l’intemporel dans l’art, jusqu’à même dans l’innovation.
Mes maîtres à penser sont Piero de la Francesca,
Bonnard, Matisse et Balthus. J’aime les photographes travaillant
la pureté dans la lumière, l’idée de répétition comme les
Allemands Andreas Gursky et Thomas Struth, mais aussi la
construction picturale et l’humanité d’un Cartier-Bresson.
Le lien était donc évident. Pierre-Elie est animé par le goût
du beau, ses images sont humanistes et sensibles. C’est un
humaniste curieux et exigeant avec lui-même qui allait se
confronter au quotidien d’artistes eux-mêmes guidés par une
discipline exemplaire dans le but de dompter les corps, maîtriser
les mouvements et les gestes. Comprendre les transformations
de la souffrance physique et de la rigueur mentale
en beauté parfois quasi extatique est aussi un défi pour
le photographe qui joue avec l’instant et la décomposition
des mouvements. Depuis le début de son travail, Pierre-Elie
de Pibrac est en recherche sur les mécanismes de transformation
de la lumière, des couleurs, des matériaux et du geste.
Dans la danse, le complexe et l’achèvement ultime résident
dans le statisme d’un corps qui par nature ou volonté est en
perpétuel mouvement et instabilité. En revanche, pour le
photographe, dont le cliché traduit la facilité technique de
l’immobilisme, le grand défi revient à développer tout un
mouvement et un rythme sur un format instantané.
La curiosité, la recherche, l’envie de comprendre animent
Pierre-Elie de Pibrac.
On ne peut omettre de voir aussi dans ce travail un clin
d’oeil à son grand père Paul de Cordon, photographe du
cirque et des danseuses du Crazy Horse. Un gentilhomme
saltimbanque au regard élégant sur le monde. Son travail
photographique avec le Cadre Noir de Saumur a laissé des
images de muscles tendus et de démarches cadencées auxquelles
fait écho Pierre-Elie de Pibrac, dans sa traduction en
images du Ballet de l’Opéra de Paris.
J’ai envie de penser à Bacon pour le travail des corps souffrants
et de la mise en scène, à Leonor Fini pour l’ambiance,
aux palettes de couleurs riches inspirées de l’art moderne
pour la trame et définitivement à l’art contemporain pour la
réfraction des vibrations du mouvement et du son. Mais aussi
à la couleur, quasi technologique, d’un Richter jouant avec
les résistances physiques de la matière colorée perpétuant
le travail sur la vision qui taraude l’artiste. On constate une
similitude du rôle des répétitions chez le danseur comme
chez le photographe.
Au-delà de documenter et d’expérimenter, Pierre-Elie de
Pibrac questionne et cherche à obtenir des réponses des danseurs
et de leur aura. Il nous invite dans un voyage mythique,
il nous ouvre les portes de ce panthéon qu’est l’Opéra de
Paris et sa magie des transformations.
Dans son travail, jusqu’à maintenant, il s’était beaucoup
concentré sur la matière et les matériaux, jouant des transparences
et des miroirs dans American Showcase, ou encore
des surfaces et supports bruts dans la série Real Life Super
Heroes. Avec In situ, Pierre-Elie travaille surtout l’appareil
photo. L’appareil capte les émotions puis celles-ci sont transformées
et recréées avec des émotions propres à sa sensibilité
d’artiste plasticien.
L’Opéra de Paris a déjà été beaucoup publié au travers de
diverses interventions photographiques, avec du matériel et
des techniques déjà vus. Il fallait renouveler le genre. Pour les
trois séries réalisées par Pierre-Elie de Pibrac, ce ne sont pas
moins de trois appareils différents qui furent utilisés ; ceci
dans un mixage d’argentique et de numérique, permettant le
passage du noir et blanc à la couleur. Un reflex avec objectif
des années 1960 pour capter l’instant et une chambre (système
ancien et originel de la photographie) à laquelle fut
ajouté un dos numérique pour « sublimer le réel ».
Un travail technique précis et impeccable. Une exigence
semblable à celle du corps de ballet. À la connaissance technique,
historique et de la matière, s’ajoute un apport technologique
servi par une grande sensibilité en phase avec celle
des danseurs. Un apprentissage quotidien d’une osmose
après des phases d’observation, de tests, de compréhension
et finalement d’acceptation. Pas simple d’approcher une
étoile et son cortège de solistes. Un mythe dans le mythe.
Le photographe se vit en Icare s’accrochant à éviter la chute.
La difficulté jour après jour de mériter cette proximité, voire
intimité, avec des artistes du corps et de l’esprit dont la
reconnaissance a toujours voulu dire non pas facilité mais
travail et encore travail. Exigence puis maîtrise pour à la fin
libérer la créativité et son complice la confiance.
Dans In situ II : catharsis, le travail des images met en
scène les énergies, des mouvements purs qui narrent les
mythes et légendes d’enfance, les réminiscences et les pulsions
libérées. L’âme des artistes dans des corps éthériques
où tout est vibration est soudainement mise à jour. La puissance
dégagée de l’intensité des émotions évoque les ruptures
cathartiques qu’imprègne ensuite le matériau photographique.
Pierre-Elie de Pibrac nous dévoile l’invisible, sa
sensibilité et ses propres émotions. Tel un médium, il s’imprègne
des formes qui apparaissent, se les approprie et nous
les restitue avec ses sentiments. C’est le parallèle du danseur
et de l’artiste plasticien, énergie envoyée, énergie captée et
enfin énergie restituée.
Dans In situ III : analogia, les mises en scène sont presqu’à
180 degrés, dans une vision étonnante et irréelle que l’oeil
humain ne perçoit pas mais que la technique utilisée donne
à voir en panorama, presque une sorte de réalité augmentée
issue d’une scène d’un tableau classique. Le panorama
représente une vision schématique de l’angle de vue de l’oeil
et permet, en un seul champ visuel, de faire défiler la narration
de l’histoire. Nous sommes là dans un rapport analogique
entre deux éléments : les murs et le corps. Rythmes suspendus, temps arrêté,
silence laissant place au murmure éternel des pierres.
Après l’énergie libérée, c’est ici l’écho
perpétuel, l’édifice restituant les vibrations intensément capturées,
la résonnance des pierres qui s’imprègne de l’aura
vibrante des artistes. Malgré le poids de l’histoire, les images
traduisent une émotion légère. Pierre-Elie de Pibrac capture
un moment d’éternité répété à l’infini comme une apologie.
Il donne à voir l’âme du lieu mais aussi nous montre l’artiste
lui-même spectateur de son propre jeu, parfois en des lieux
ou places invisibles ou inconnus par ceux qui y séjournent
quotidiennement. Après avoir restitué avec sa sensibilité les
émotions perçues dans la série précédente, ici, il nous donne
sa propre vision de la scène, du théâtre, de la proportion et
du jeu d’artiste. Il met en scène.
Un an d’immersion, de travail et de recherche dans un
univers que l’on aurait pu croire conformiste, écrit d’avance,
sans surprises derrière le rideau et sa magie. Et pourtant…
Pierre-Elie de Pibrac a acquis de la maturité au gré des pas des
danseurs et cette récompense éclate d’une façon évidente
tant les images sont belles. Rien n’est plus heureux pour un
collectionneur que de toucher la maturité d’un artiste.

Olivier Ponsoye, juillet 2014

www.pierreeliedepibrac.com

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